Une information libre, pluraliste et indépendante
Avant de commencer le film, j’avais peu de confiance dans les journalistes trop proches du pouvoir. Quand j'ai rencontré Marcel Trillat, je me suis demandé comment quelqu'un qui me semblait indépendant et honnête avait pu travailler à de si hauts postes à France Télévisions. En faisant le film, j’ai peu à peu découvert des journalistes revendiquant une information libre, pluraliste et indépendante. Tout un jargon qui me paraissait assez vague, et qui a alors pris sens. J'ai surtout rencontré des femmes et des hommes aux convictions franches, se battant pour garder du sens à leur travail.
J’avais conscience des pressions de l’audimat, des politiques ou de toute autre forme de lobbying sur le journalisme, mais là j’ai aussi compris l'incapacité de faire de ces professionnels, devant leur dépendance de leurs patrons et du fonctionnement de leur rédaction.
Quels métiers se définissent par leurs patrons ?
J’ai alors essayé de revenir aux bases et de comprendre ce qui fondait le statut de journaliste. J’ai vu qu’il dépendait du Code du travail (articles L7111-3 à L7111-5), provenant du rapport Brachard, rédigé en 1935 : « Est journaliste professionnel toute personne qui a pour activité principale, régulière et rétribuée, l'exercice de sa profession dans une ou plusieurs entreprises de presse, publications quotidiennes et périodiques ou agences de presse et qui en tire le principal de ses ressources ». Ainsi, le statut des journalistes professionnels dépend directement de leurs employeurs. Quels autres métiers se définissent par leurs patrons ? Quels sont donc les moyens des journalistes – à part leur close de conscience leur permettant de quitter une rédaction s'ils sont en désaccord avec ceux qui la dirigent – de résister à leurs employeurs ? Car, s’il est logique qu’un journaliste subisse des pressions, encore faut-il qu’il ait les moyens d’y résister. C'est peut-être cela le plus important.
Notre démocratie est-elle sous dépendance des patrons de presse ?
Toute la profession semble s'accorder sur le fait que le journalisme participe à la démocratie. Que la liberté de l'information est un pilier de la démocratie. Que le journalisme serait un contre pouvoir, pour informer le citoyen. S'il me semble que nous avons largement besoin de contre pouvoir dans notre pays. J’ai donc envie de dire aux journalistes : Chiche ! Aux Etats-Unis, la liberté de la presse est inscrite dans le premier amendement de la Constitution. Y a-t-il une loi, en France, qui défende le statut des journalistes ? Non. Une loi qui les intègre dans la démocratie, avec des droits et des devoirs ? Non. Seraient-ils un pilier sans fondements? Par contre, ils restent sous dépendance de leur patrons. J'ai donc envie de pousser le bouchon, si l’information participe à la démocratie en France, notre démocratie est-elle sous dépendance des patrons de presse ?
Manifestation intersyndicale, jan 2009
Propositions de l’intersyndicale
Les journalistes revendiquent, à travers les propositions d’une intersyndicale, des droits et des devoirs que j’ai depuis envie de défendre avec eux. Il s'agit par exemple d'une charte de déontologie pour les patrons de presse ; si les journalistes doivent respecter de plus en plus de chartes, quelle charte existe pour leurs employeurs ? Ou d'une reconnaissance juridique de l’équipe rédactionnelle ; c’est-à-dire d'une loi ou d'un statut pour défendre l’indépendance des rédactions. Ou encore, de l’intégration des chartes de déontologie (SNJ 1918-1938 et Munich 1971) à la Convention collective nationale de travail des journalistes ou à une instance paritaire chargée de la déontologie ; car actuellement pour obtenir la carte de journaliste, les ressources sont le seul critère. La déontologie, qui fonde pourtant le métier, ne compte pas !
Et le respect mutuel ?
Ces revendications citoyennes, m’interrogent sur notre relation au pouvoir et notre capacité à fonder une démocratie avec ses contre pouvoir. En attendant une loi (ou que les patrons de presse et les journalistes s'entendent sur une charte et un instance de régulation), que faire ? J'ai l'impression que nous ne pouvons qu'accorder une confiance aux journalistes. Mais une confiance doublée d’une exigence :
Que le journaliste n’impose pas une espèce de supériorité à l’autre, qu’il respecte le sens de la parole des personnes interviewées, qu’il respecte ses téléspectateurs, ses auditeurs, ses lecteurs. J'aimerai aussi, comme par exemple personne interviewable, que le journaliste ait les moyens de me respecter, le temps de m’expliquer ce qu’il veut faire, d’où il part et vers quoi il tend, de me donner comme citoyen les clés pour que j’ai conscience de l’information, de son traitement et de sa mise en forme.
Quelques liens :
- La FIJ, Fédération Internationale du Journalisme - http://www.ifj.org/fr
- Le SNJ, Syndicat National des Journalistes - http://www.snj.fr
- Le SNJ, Syndicat National des Journalistes CGT - http://www.snj.cgt.fr
- Un article d'Acrimed - http://www.acrimed.org/article2733.html
Quelques livres :
Des ouvrages qui m’ont marqué sur le métier de journaliste :
- Alain Accardo « Journalistes précaires, journalistes au quotidien », Agone 2007
- Cyril Lemieux « Mauvaise presse » sociologie compréhensive du travail journalistique et ses critiques, Métailié, 2000
- François Ruffin « Les petits soldats du journalisme », Paris, les Arènes, 2003
- Jacques Siracusa « Le JT, machine à décrire », sociologie du travail des reporters à la télévision, De Boeck, INA 2001
Puis 3 autres :
- Daniel Carton « Bien entendu... c’est off », Albin Michel, 2003
- Denis Ruellan « Le Journalisme ou le professionnalisme du flou », PUG, 2007
- Erik Neveu « Sociologie du journalisme », Paris, La Découverte, 2004
Et sans doute bientôt un autre...
- Ss la direction de Cyril Lemieux « La subjectivité journalistique », EHESS, 2010